Cuisson des aliments et énergie
Lorsque j'ai publié mon article intitulé 203,96 dollars pour alimenter 4 personnes pendant un an, je m'attendais à certaines critiques précises et je les ai reçues.
On a reproché à ce type de réserves d'urgence d'être énergivore car la cuisson des aliments, notamment des légumineuses et de certains féculents, demande évidemment de l'énergie.
Oui la cuisson demande de l'énergie mais en demande-t-elle suffisamment pour que ce soit considéré "énergivore"?
C'est à voir.
Voyons maintenant.
Il existe différentes manières de cuisiner. On peut viser l'efficacité et la précision maximales lorsqu'on fait par exemple ma délicieuse crème brûlée au sirop d'érable: cuisson au four dans un bain-marie suivi d'une cuisson agressive de surface pour caraméliser le sucre. On ne peut obtenir une crème brûlée parfaite qu'avec des équipements qui contrôlent parfaitement la température et qui le font sur demande. Demandez à RSF-Mère et à son mari si elle est bonne, ma crème brûlée (salut Laetitia et Phillippe)!
Et puis il y a la cuisson autre, celle d'expédients, celle de la débrouillardise, celle de la disette énergétique, celle qui permet de cuisiner presque toutes les mêmes choses qu'en temps de normalité mais avec des installations plus rudimentaires et des sources ou des quantités caloriques différentes.
Retournons pour ce faire dans le passé.
Nos ancêtres n'étaient pas cons.
Ils étaient tout aussi bien adaptés à leur environnement de vie que nous pouvons l'être au nôtre.
En fait ils étaient même plus adaptés que nous car les erreurs d'adaptation étaient plus tragiques que celles que nous pouvons faire dans un univers beaucoup plus confortable et technologique que le leur.
Manières de cuire les aliments
On a tous en tête la fameuse marmite logée dans l'âtre au dessus des flammes ou d'un feu de braises ardentes.
Ce qui n'était pas con du tout.
Le feu chauffait un peu le logis, les pierres de la cheminée accumulaient la chaleur et la redistribuaient, les aliments pouvaient mijoter, spécialement les pièces de viande moins tendre qui étaient le lot des paysans (car contrairement à ce qu'on croit ou laisse croire la paysannerie n'a pas toujours été miséreuse, il faut le dire).
Cette méthode faisait double emploi de la chaleur produite par la combustion du bois: chauffage du logis et cuisson des aliments.
Étant encore enfant, je me souviens d'avoir accompagné mon grand-père dans sa tournée de distribution d'aliments chez des familles pauvres ou chez des personnes âgées, pendant la période de Noël.
Mon grand-père était un catholique très pratiquant qui prenait au sérieux la notion de charité. Il donnait lui-même beaucoup, il organisait ou participait à des oeuvres de charité à travers la paroisse ou la Caisse Populaire dont il était le directeur. Habitant un petit village, de par sa position, il faisait partie des notables. Il se servait de sa situation pour faire du bien.
Alors en l'accompagnant je me souviens d'être entré dans une maison où la seule unité de chauffage était une cuisinière au bois, avec ses trois fours, son réchaud, sa section mijoteuse, etc.
Comme je regardais avec beaucoup de curiosité et de fascination la femme qui vivait là m'a invité à approcher et à regarder. Cette image m'est restée en tête car déjà à cet âge j'aimais l'histoire et les "vieux objets du quotidien".
Plus tard lors de mes études en Histoire, nous avions des cours sur la culture matérielle, C'étaient les cours les plus intéressants que j'ai pu avoir.
J'ai pu apprendre que ces cuisinières du passé avaient deux fournaises: une où on mettait le bois fendu et une autre, moins profonde, où on pouvait faire brûler du bois de fagots.
Les branches mortes sont très abondantes partout où on trouve du bois. Leur ramassage peut être fait par des enfants et des personnes âgées.
Puisque leur température de combustion est par destination moins élevée, ces branches génèrent de la cendre qui peut être récupérée pour produire du lessi, de la lessive, du savon ou même de l'engrais si on le mélange à de l'urine récupérée des pots de chambre.
Ceux qui craignent la trop grande dépense d'énergie pour la cuisson de leurs aliments n'avaient évidemment pas en tête l'usage du bois de fagots.
Mon fameux Biolite Stove dont je parle si souvent (désolé!) utilise notamment du bois de fagot haché menu.
Il est facile de se confectionner un petit poêle à bois en tôle métallique qui pourrait brûler de petites branches et ainsi fournir un moyen de cuire des aliments.
Outils requis: scie à métaux et riveteuse. Si vous le voulez démontable, rajoutez une perceuse et des vis.
J'ai entendu dans un reportage que les japonais du nord des archipels nippons connaissaient un climat aussi rigoureux que celui du Québec. Ils ne chauffent pas leurs maisons qui sont peu isolées. Les murs sont en papier de riz résistant aux intempéries et le toit de ces maisons est en chaume.
En revanche, ils cuisent leurs aliments dans deshibachis avec du bois ou du charbon de bois. Sans cheminée. La fumée? Elle monte vers le toit de chaume et le fumige du même coup, ce qui explique que ces toits durent une centaine d'année sans pourrir et sans moisir.
La cuisson terminée et une fois les braises formées, le petit "bol à feu" est déplacé sous la table basse sur laquelle on a placé une nappe très grande. Cette nappe est déployée sur les pieds des convives et la chaleur produite par le hibachi est redistribuée sous la table et sous la nappe.
Pour le coucher, même principe.
La civilisation qui est reconnue pour conserver les traditions a donc maintenue la manière de cuire les aliments.
Sur l'image ci-contre, on peut voir une autre "cuisinière" japonaise. On y aperçoit un rectangle qui reçoit des braises et sur lequel on dépose les casseroles, bouilloires et poêlons. Cette cuisinière utilise du charbon de bois ou même du bois de fagots.
On est loin de la cuisinière électrique ou au gaz!
Fabriquer du charbon de bois, ce n'est pas difficile mais ce n'est pas non plus une mince affaire. Par contre, le bois de fagot est là, gratuit, à la portée de tous.
Nos ancêtres du Moyen Âge n'étaient pas dépourvus.
J'ai parlé plus haut de la cuisson dans l'âtre, celle des ragoûts et des soupes dans des chaudrons. Elle permet aussi la cuisson sur broche.
Il existait aussi des "cuisinières" médiévales qui utilisaient des bûches, des fagots ou du charbon de bois.
Tiens! ça nous rapproche de la cuisinière au bois que j'ai vue en accompagnant mon grand-père!
Il existe d'autres approches de la cuisson des aliments. Si vous disposez de sources de chaleur contrôlable, comme de l'électricité ou du gaz ou n'importe quel carburant que vous pouvez allumer et éteindre à volonté, il est possible de chauffer notre marmite à la température désirée et de la placer ensuite dans une marmite norvégienne.
Qu'est-ce au juste?
Marmite norvégienne de fortune
Ce n'est pas une marmite et ce n'est pas exclusivement norvégien.
Marmite norvégienne "high tech"
La marmite norvégienne est un procédé de cuisson des aliments qui requiert beaucoup moins d'énergie que la cuisson traditionnelle.
Il s'agit en fait d'un réceptacle très isolé dans lequel on dépose une marmite préalablement chauffée à sa température de cuisson et qu'on referme.
La déperdition de chaleur étant considérablement réduite, la marmite conserve sa chaleur et poursuit du même coup la cuisson des aliments.
Qu'on utilise du styromousse expansé ou de simple guenilles à titre d'isolants, il est facile et rapide de construire cette pièce d'équipement.
Si le temps de cuisson est très élevé, il est tout à fait possible de sortir la marmite et de la remettre sur le feu puis de la ranger à nouveau dans le contenant isotherme.
De grands sacs de jute peuvent aussi faire l'affaire, tout comme des paniers. L'important est d'isoler tous les côtés, le dessus et le dessous.
Il existe d'autres moyens de produire de la chaleur afin de cuire des aliments:
four solaire,
dynamo produisant de l'électricité,
loupe géante faite avec une lentille de Fresnel
méthane récupéré la décomposition des déjections humaines et animales
hydrogène ou HHO sur demande avec piles et panneaux solaires
Et j'en passe. Ces solutions demandent soit des installations spécialisées, soit un ensoleillement suffisant, soit des équipement technologiques avancés.
Tout est bon dans ce domaine, l'important c'est de pouvoir cuisiner avec les sources caloriques requises. Dans cet article je parle des moyens plus légers, moins technologiques, plus accessibles mais si vous avez accès à mieux...
Les réserves alimentaires dites énergivores
Elles ne le sont pas. Faites le test.
Prenez du riz étuvé ou des nouilles. Jetez-les dans l'eau froide le matin et regardez-les le soir. Votre riz ou vos nouilles auront pris du volume. Idem pour les aliments déshydratés. Une petite flambée de 5 minutes pour stériliser le tout et vous mangez chaud sans grandes dépenses d'énergie. Je l'ai personnellement testé.
Pour les légumineuses, après un trempage de 10-12 heures, il faut les chauffer puis les laisser mijoter. Si vous disposez d'un feu que vous n'avez pas de difficulté à alimenter, soit en bois de fagots ou en bûches, il n'en coûte rien de plus en énergie à cuisiner ces aliments et vous chauffez du même coup votre logis.
Si vous avez au contraire des sources de chaleur pour la cuisson des aliments qui sont difficiles à renouveler: marmite norvégienne, notamment...
Épilogue
Les objections à une chose ou une autre reposent souvent sur des paradigmes. Le principal rencontré, c'est celui du "faire comme toujours sans être comme avant".
On ne peut pas "faire comme toujours" quand nous ne sommes plus dans un contexte qui le permet. L'essence même du survivalisme c'est l'autonomie et celle-ci exige sa part d'adaptation aux circonstances. On ne peut pas mettre du fioul dans une voiture si celui-ci n'est plus disponible. On peut par contre fabriquer du biodiesel ou opter pour le cheval ou le vélo pour nos déplacements. C'est cela, s'adapter aux circonstances.
C'est certes pas pas la même chose, passer de la Mercedes au canasson mais c'est de la même nature: se déplacer à l'aide d'un véhicule, qu'il soit cheval-vapeur, cheval-cheval ou jambe-vapeur.
Le noeud de toute activité humaine est et demeurera l'énergie disponible. On s'en rend compte très rapidement si celle-ci vient à manquer, pour rester dans le thème de la cuisson des aliments, juste avant l'heure du repas!
Les critiques, fort légitimes, sur la nature énergivore des réserves alimentaires d'urgence à longue conservation que je propose dans cet article:
reposent sur un paradigme contemporain quant à l'utilisation de l'énergie qui est abondante, peu coûteuse et protéiforme.
Ces mêmes critiques sont formulées par des personnes qui ont conscience de la rareté potentielle (et si vous voulez mon avis, probable) de l'énergie dans une normalité bouleversée, que ce soit par son coût ou plus prosaïquement, sa distribution et sa disponibilité.
Ces critiques sont donc tout à fait fondées en vertu du paradigme de l'utilisation actuelle des différentes formes d'énergie. Je suis toutefois convaincu que les mêmes personnes, placées dans un contexte de rareté énergétique, sauront faire preuve d'imagination et adapteront leur manière de préparer les aliments à la nouvelle réalité.
Si cet article peut y contribuer, j'en serai heureux.
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