L'hypothermie
Par temps froid, l'hypothermie est l'un des plus grands facteurs de risques que l'on rencontre dans la nature. Elle survient, bien évidemment, lorsque nous produisons moins de chaleur que nous n'en dissipons par convection, conduction, radiation, évaporation, et par notre respiration.
L'hypothermie est un abaissement de la température corporelle centrale. Si on plonge son pied dans l'eau glacée, sa température interne pourra chuter de manière spectaculaire sans qu'on puisse pour autant parler d'hypothermie. Notre corps, comme le vocabulaire médical, fait une distinction très claire entre un refroidissement périphérique (souvent bénin) et un refroidissement de la masse centrale du corps qui, lui, peut être mortel. Pour se protéger, notre corps se soucie avant tout du refroidissement de son noyau vital : le tronc et le cerveau. Il réagira d'autant plus fortement que notre « masse centrale » se refroidit, alors qu'il ne gaspillera souvent pas son énergie pour réchauffer un pied plongé dans l'eau froide. Cette distinction très nette que fait notre corps entre le centre et la périphérie est une façon d'économiser de l'énergie. Ainsi, plus une personne est acclimatée au froid, et plus son corps sera tolérant aux refroidissements périphériques (Maniguet 1989, Étienne 2004).
On distingue, dans le monde médical, 4 stades au phénomène de l'hypothermie... Et on peut avoir très froid avant d'être réellement en état d'hypothermie. Voici en détail les différents niveaux de diminution de la température centrale du corps, du simple refroidissement au coma lié à une hypothermie sévère.
Ça caille ici !!!
Entre 36,7°C et 35°C
Tout le monde — ou presque ! — a déjà eu froid au moins une fois dans sa vie. Ce sentiment généralement désagréable de se refroidir se fait sentir dès que notre température corporelle descend sous les 36,7°C. En tout premier lieu, on ressent ce refroidissement au niveau des extrémités. On se rend compte que nos pieds se refroidissent, qu'on a le bout du nez et les doigts froids. Ce phénomène est causé par la constriction des vaisseaux sanguins périphériques, qui cessent de chauffer la peau et les extrémités pour isoler le corps du froid ambiant. Ainsi privée d'une bonne partie de son débit sanguin, notre peau devient plus froide et nous isole jusqu'à sept fois mieux qu'en temps normal.
Une personne qui sait bien gérer sa chaleur corporelle reconnaît immédiatement ce tout premier symptôme de refroidissement et n'attend pas plus longtemps pour agir : elle ajoute des couches de vêtements, bouge, se met à l'abri du vent, etc. Inutile de se laisser aller à perdre davantage de sa précieuse chaleur, surtout si on doit passer encore du temps dehors ! C'est en négligeant ces premiers signes de refroidissement que l'on se retrouve, quelques minutes plus tard, avec les pieds froids, les orteils douloureux, et les doigts raides...
Après seulement quelques minutes passées sous les 36,7°C, nous commençons à uriner copieusement. Tout le sang qui se trouvait dans notre peau, déferlant dans nos vaisseaux principaux, fait augmenter notre tension artiérelle et notre corps produit de l'urine pour éviter l'hypertension. On peut ainsi uriner jusqu'à deux litres d'eau presque pure en moins d'une heure. Cette perte hydrique devra être compensée dès que notre corps se réchauffera et que notre sang retournera aux extrémités. En attendant, nous fonctionneront simplement avec un volume sanguin un peu moindre.
Si notre température centrale atteint les 36,4°C, nous sentons que nous nous refroidissons « à l'intérieur ». La sensation de froid gagne notre thorax et notre dos, voire notre abdomen. Nous frissonnons à intervalles irréguliers.
À ce stade (36,4°C), notre système immunitaire est déjà en hibernation. En effet, nos globules blancs (macrocytes) ont besoin d'une température de 36,5°C pour fonctionner correctement. Cela explique qu'on « prenne froid » : le froid à lui seul ne peut pas nous donner un rhume, mais comme il met temporairement en sommeil notre système immunitaire, il facilite l'installation des microbes dans notre système. Alain Rastoin, qui raconte (entre autres) dans son livre « Ashuanipi » son expérience de survie dans le nord du Québec, s'étonnait de n'avoir jamais eu un seul rhume pendant les longues semaines qu'il a passées à marcher dans le froid et traversant des torrents glacés pour se sortir de la forêt boréale. Étant le seul être humain à des centaines de kilomètres à la ronde, il ne risquait pas d'être mis en contact avec un microbe... Et donc, malgré le fait qu'il se soit retrouvé régulièrement en état d'hypothermie au cours de sa marche forcée, il n'a jamais « pris froid ». Dans un contexte urbain, cependant, les choses auraient été très différentes !
Lorsque la température de notre sang atteint les 36,0°C, nous commençons à frissoner de manière plus régulière et plus intense. Ces frissons peuvent se déclencher plus tôt chez une personne habituée à la chaleur, ou plus tard chez une personne acclimatée au froid, mais 36,0°C est une bonne moyenne. Dès lors, les divers mécanismes de production de chaleur de notre corps s'activent réellement pour faire de monter notre température centrale (frissons, métabolisme basal accéléré, et thermogénèse dans les adipocytes bruns. Voir à ce sujet « Physiologie — L'acclimatation au froid »).
Si notre température corporelle continue à descendre, nos frissonnements deviennent de plus en plus intenses et ils s'étirent sur de plus longues périodes, jusqu'à devenir pratiquement continus.
À une température de 35,0°C, nous nous sentons déjà engourdis. Notre motricité fine est très largement altérée à cause des frissons et de l'engourdissement général, et notre esprit (comme tout le reste de notre corps) fonctionne au ralenti. Nous quittons le domaine du simple refroidissement pour entrer dans le monde de l'hypothermie légère.
Hypothermie légère
Entre 35 et 34°C
À ce stade, nous sommes encore conscients, bien que nous soyons déjà considérablement diminués mentalement. Nous avons évidemment très froid, et nous frissonnons violemment. Notre pouls est accéléré, et notre respiration est rapide, pour alimenter en oxygène le travail intense des muscles qui frissonnent. Ce travail est un effort musculaire intense qui n'a rien à voir avec les ébauches de frissons que nous connaissons généralement quand nous avons simplement « froid ». Le corps, pour se réchauffer, dépense toute son énergie sans compter, dans l'unique but de survivre au froid. Malgré une bonne condition physique, je me suis souvent retrouvé complètement épuisé, à la limite de l'hypoglycémie après un épisode de frissonnement intense. Une alimentation calorique permet d'alimenter ce travail intense en énergie, alors qu'un jeûne ou une fatigue accumulée en limitent la durée comme l'efficacité.
Les muscles des athlètes ou des personnes qui pratiquent un sport d'endurance sont bien évidemment capables de frissonner plus fort et plus longtemps que les autres. En effet, leurs muscles sont plus puissants, et plus volumineux, et les réserves de glycogène qu'ils contiennent sont plus importants.
Sous 35,0°C, nos extrémités peuvent être bleues (cyanosées). Nous pouvons encore marcher (quoi que difficilement), mais la démarche est rendue difficile par les frissons. Nous sommes maladroits. Il est impossible, dans cet état, d'allumer un feu ou même d'attacher une fermeture éclair... Il est même très difficile de mettre un bonnet correctement sur sa tête...
Sous la barre des 35,0°C, notre esprit tourne réellement au ralenti. Nos perceptions sont altérées, et nous atteignons progressivement un état de détachement étrange où tout nous semble futile et déplacé. La résolution de problèmes, même simples, est difficile... La dernière fois où je me suis retrouvé dans cet état (lors d'une expérience volontaire), je devais me répéter la phrase « marche pour te réchauffer » en boucle, mentalement... pour ne pas oublier ce que j'avais à faire. Je sentais mon esprit, comme mon corps tout entier, s'engourdir comme les guêpes en automne. Je me voyais glisser lentement vers un état très tentant de bien être apathique... avec une sérénité plutôt dérangeante !
Hypothermie modérée
Entre 34 et 32°C
Sous 34°C, notre conscience est altérée. Nous sommes clairement désorientés, incapables de penser ni de fonctionner. Nous continuons à frissonner, mais ces frissons sont entrecoupés de contractions musculaires plus longues. Notre tension artérielle chute. Notre peau apparaît marbrée, et de plus en plus violacée, voire bleutée. À ce stade, il est presque impossible de marcher. Bien que nous en soyons encore, parfois, physiquement capables, nous ne sommes souvent plus en mesure de décider de le faire, ni de comprendre clairement pourquoi on devait le faire.
Plus le cerveau se refroidit, et plus un sentiment d'anesthésie envahit le corps. Privés de nos sensations, nous nous sentons bien et nous n'avons plus froid. C'est à ce stade que bien des alpinistes et que bien des explorateurs des régions polaires se retrouvent allongés dans la neige à se dire que la mort par hypothermie n'est pas une si vilaine chose après tout... Chaque mouvement est tellement difficile... Seule une personnalité extrêmement combattive est des raisons de vivre très claires peuvent nous pousser à nous relever une fois que nous avons atteint ce stade, où l'abandon est si tentant. Se laisser glisser dans l'engourdissement indolore ou continuer à lutter pour survivre ? À ce stade, et sans aide extérieure efficace, c'est le dernier choix que nous aurons à faire. Si on cesse de lutter à cet instant, on glisse en quelques minutes vers une hypothermie profonde et le coma.
En cas d'hypothermie modérée, des complications sont fréquentes lors du réchauffement du corps, surtout s'il est trop rapide, ou si le corps est réchauffé de l'extérieur (bouillotes, couvertures chauffantes, etc.). Les engelures sont presque une constante si la température ambiante est au-dessous du point de congélation. Cependant, il faut savoir qu'on peut très bien se retrouver à ce stade d'hypothermie à des températures de l'ordre de 10°C, surtout si on est affaibli(e) ou mouillé (sous une pluie d'automne, par exemple)... Le nombre de chasseurs canadiens qui meurent d'hypothermie à la fin du mois d'octobre (où les pluies sont fréquentes et où les températures oscillent généralement entre 0°C et 10°C) est là pour le prouver.
Hypothermie profonde
Entre 32 et 25°C
Sous 32°C, les troubles de la conscience s'accentuent jusqu'au coma, qui survient à une température interne de 27°C. Les frissons s'espacent, diminuent d'intensité, puis s'arrêtent. Les yeux peuvent bouger de gauche à droite (mouvement pendulaire). Les pupilles sont souvent dilatées (mydriase), parfois d'un seul côté. La peau est violacée, avec des marbrures peu contrastées. La respiration est lente et peu profonde. Le pouls est lent et faible, difficile à prendre (parfois seulement 1-2 battements par minute). La pression artérielle est effondrée. Les risques de fibrillation ventriculaire ou d'arrêt cardiaque sont bien réels . La personne, bien qu'encore à-demi consciente, ne peut plus rien faire pour sauver sa propre vie.
Des complications graves sont prévisibles lorsqu'on atteint ce stade d'hypothermie (voir plus loin).
Hypothermie majeure
Inférieure à 25°C
Sous 25°C, nous sommes en état de mort apparente. Nous nous trouvons en fait dans un coma profond. Nos deux pupilles sont dilatées et non-réactives. Nos réflexes disparaissent. Nos muscles sont rigides. Notre pouls est indétectable, et notre tension artérielle est nulle. Même si nous sommes, à ce stade, dans un état critique, tout espoir n'est pas perdu. Ainsi, on a l'habitude de dire qu'une victime d'hypothermie n'est pas morte tant qu'elle n'est pas « réchauffée et morte »... Malheureusement, les complications lors de la réanimation sont aussi fatales que fréquentes à ce stade. Une assistance médicale est nécessaire.
Traitement
Dans tous les cas, le traitement de l'hypothermie consiste en un réchauffement lent et contrôlé (environ 1°C par heure). On peut par exemple placer la personne nue dans un sac de couchage avec une ou deux autres personnes, ou encore la transporter dans un endroit un peu plus chaud et veiller à ce qu'elle ne se réchauffe pas trop vite. En appliquant des « bouillotes » aux points d'intersection des gros vaisseaux sanguins (aines, bas ventre), on peut réchauffer lentement et progressivement la masse sanguine, ce qui est idéal. Attention, bien évidemment, aux brûlures.
Si la personne a simplement très froid (température supérieure à 35°C, niveau de conscience normal), on peut lui donner à boire des liquides non-alcoolisés, de préférence légèrement sucrés, et tièdes (idéalement à 37-40°C). Il est important de boire des petites gorgées, de manière à éviter un réchauffement trop brutal, qui peut causer des hémorragies digestives.
Même en cas d'hypothermie légère, il faut absolument éviter un réchauffement rapide, et priviléger un réchauffement du corps par le centre, sans le réchauffer de l'extérieur. Cela, bien évidemment, est très difficile à faire sur le terrain sans matériel spécialisé (sérum « chaud » en intra-veineux, etc.).
Les complications liées au traitement de l'hypothermie modérée, profonde ou majeure peuvent survenir de manière brutale, et sont souvent mortelles. Parmi ces complications possibles :
- troubles du rythme cardiaque (fibrillation, arythmie, bradycardie), notamment lors du retour dans la zone d'hypothermie modérée (32 - 34 °C) en cas d'hypothermie sévère ou profonde. Il faut toujours déplacer une victime d'hypothermie de manière très douce. Le rythme cardiaque, rendu instable par le froid, peut se dérégler pour un oui ou pour un non...
- arrêt cardiaque brutal
- hémorragie digestive massive
À partir du moment où la conscience de la victime est altérée par l'hypothermie, il est préférable que le réchauffement se fasse sous surveillance médicale, avec toutes les précautions d'usage (monitoring constant, etc.). Si, toutefois, une assistance médicale n'est pas accessible, il faut surveiller la personne de très près, tout en se tenant prêt à pratiquer la réanimation cardio-respiratoire si nécessaire (suivez un cours !!!).
Veillez à ce que la personne reste allongée, et aussi immobile que possible. Si vous devez absolument la transporter, faites-le extrêmement délicatement, et sans faire remuer la victime. Outre de nombreuses autres complications, le coeur, très capricieux à ce stade, peut entrer en fibrillation ou s'arrêter pour un oui ou pour un non... Une prudence extrême s'impose.
Prévention
La plupart des cas d'hypothermie qui surviennent chez mère nature sont causés par un manque de préparation ou une négligence, ce qui revient souvent au même. Des vêtements adaptés, un bon niveau d'acclimatation et une capacité à ne pas dépasser ses limites physiques sont trois protections efficaces contre l'hypothermie. Mieux vaut, parfois, renoncer à un sommet ou faire demi-tour plus tôt que prévu plutôt que de se mettre soi-même en danger, et de forcer des équipes de secours à mettre leur vie en péril pour venir vous récupérer...
En randonnée ou en simple ballade, est vital d'avoir toujours avec soi des moyens efficaces de maintenir sa température corporelle, même en plein été. En montagne, le temps change vite et les nuits sont froides, même en plein coeur de juillet. Les pluies de fin de journée sont fréquentes, en été, et nous laissent souvent avec des vêtements trempés pour passer une nuit à la belle étoile, ce qui est, au mieux, une situation très inconfortable.
En partant vous ballader, donc, prévoyez la pire météo possible et demandez-vous si vous pourriez réalistement survivre à une nuit dans ces conditions avec les vêtements et l'équipement que vous emmenez avec vous. Sachez aussi qu'un simple poncho pour rester au sec, couplé à un bonnet de laine et un moyen d'allumer un feu, peuvent vous sauver la vie pour un poids et un encombrement raisonnables.
Dernier point, et non des moindres, évitez l'épuisement et la déshydratation, car ils peuvent tous deux réduire considérablement notre résistance au froid. Marchez à votre rythme, mangez et buvez fréquemment, même par temps froid !
lien internet : hypothermie David Manise
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